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  • Photo du rédacteurLéane Alestra

Enquête sur le fémonationalisme. Comment en sommes-nous arrivé·es là ?

Dernière mise à jour : 25 nov. 2022

Samedi 19 novembre 2022, une marche organisée par Nous Toutes afin de lutter contre les violences sexistes et sexuelles rassemblait plus de 100 000 personnes sur l’ensemble du territoire français. Depuis 2019, cette manifestation est l’une des plus suivies de l’année. Dans un pays où 3 enfants par classes sont victimes d’inceste, où l’on dénombre chaque année une centaine de féminicides et des milliers de victimes de violences sexuelles, le collectif réclame en premier lieu des moyens concrets et conséquents pour prendre en charge les victimes. Comme chaque année, l’organisation en charge de la manifestation sait qu’elle aura affaire à des invitées surprises : Le groupuscule d’extrême-droite se revendiquant féministes, Némésis. Leur but ? Se réapproprier les codes du militantisme féministe pour servir l’agenda politique de l’extrême-droite. Samedi dernier, nous avons donc aperçu sur les réseaux-sociaux des images de militantes appartenant à ce groupuscule. Ces dernières sont apparues déguisées en burqa munis de pancartes “ma burqa mon choix” et “féminisme islamiste”. Les militantes d’extrême-droite ont affirmées sur leur réseaux-sociaux être restées une vingtaine de minutes dans le cortège sans être gênées par l’organisation et auraient même été félicitées par des manifestantes ! En réalité, elles ne sont restées que quelques minutes, le temps de faire des photos et de tourner une vidéo de vingt secondes. L’objectif de ce court happening était de créer une panique morale comme le font fréquemment les mouvements identitaires. Ici, d'installer l’idée que les féministes seraient complices des organisations islamistes. Mais comment en sommes-nous arrivé·es là ? Pourquoi l’extrême-droite a telle choisi d’instrumentaliser le combat féministe plutôt qu’un autre ? Lorsque l'on sait que les paniques morales surfent toujours sur des stéréotypes déjà ancrés, quels sont les éléments permettant qu'aujourd'hui ce genre d’action soit possible ?

Définitions :

  • L’orientalisme tel que le définit Edward Saïd est un système de Doctrine, de pensée et de savoir issus d’une position de puissance.

  • Nous définirons le féminisme, comme un mouvement politique prônant l’égalité stricte entre les genres, autant dans la vie privée que dans la sphère publique.

  • Par fémonationalisme, nous reprendrons la définition de Sara R.Farris, à savoir « la mobilisation contemporaine des idées féministes par les partis nationalistes et les gouvernements néo-libéraux sous la bannière de la guerre contre le patriarcat supposé de l’Islam en particulier et des migrants du Tiers Monde en général. »

Entre les années 80 et 2000, le féminisme s’institutionnalise dans nombre de pays occidentaux, notamment en France. Dès lors, certaines structures associatives dépendent des subventions de l’État pour assurer leur bon fonctionnement. Pour nombre de militantEs ce féminisme institutionnalisé, serait loin d’être à lui seul émancipateur et participerait même à renforcer l’ordre social et le statu quo patriarcal. C’est un des reproches faits aux féministes dit "universalistes", qui, pour certaines penseuses comme Salima Amari, Françoise Vergès, bell hooks, Eléonore Lépinard, Sarah Mazouz, Jules Falquet et Sara R.Farris,... renforcent une politique néo-libérale et raciste au détriment des personnes racisées, LGBT+, en situation de handicap,… Au sein de cet article, nous aborderons également les spécificités du courant universaliste du féminisme, caractérisé par la défense des intérêts individuels et collectifs des femmes, avant les intérêts de classe ou d’ethnies. Ces intérêts passent par l’égalité en droits des femmes et des hommes, l’autonomie financière des femmes, l’appropriation de leur corps ainsi que l’accès des femmes aux postes de cadres. Depuis les années 2000, le mouvement féministe a renforcé son attachement à la laïcité, la considérant comme une valeur indispensable mais en ayant une lecture très particulière. A l’origine, la laïcité promeut la liberté de croire ou non et d’exercer librement son culte sans que l’Etat n'ait son mot à dire ou privilégie une confession à une autre. Dans le cas présent, il s’agit souvent d’une condamnation morale affirmant que les religions sont un des rouages majeurs empêchant l’émancipation des femmes et qu’il convient de libérer les femmes de leur confession. Pour Françoise Vergès, le courant universialiste reprend le vocabulaire de la mission civilisatrice coloniale, notamment en luttant en faveur de l’interdiction du foulard islamique. Or cela participe à renforcer l’impérialisme blanc et le néo-libéralisme au détriment des femmes les moins privilégiées. À ce féminisme universaliste qu’elle nomme « féminisme civilisationnel » elle oppose le souhait d'un « féminisme de la totalité ». Ce courant, contrairement aux aspirations civilisationnelles, renouerait avec un projet révolutionnaire et prendrait en compte de manière transversale, tous les enjeux auxquels sont confrontés les différents groupes qui composent la catégorie « femme », afin de proposer un changement politique radical.

Qu’est-sont les principaux constituants du fémonationalisme ? Le féminisme français est traversé par plusieurs courants, portés par des femmes issues de milieux divers aussi bien en termes de races, de classe, de position géographique, d’handicap, d’origines sociaux-économiques… Il se caractérise donc par une pluralité de pratiques, de pensées, qui se rejoignent, s’allient ou divergent de façon conflictuelle, parfois sans médiation possible. Il serait donc compliqué d’en faire une généralité, de parler de « féminisme blanc » ou « bourgeois » par exemple, tant les courants féministes portés par des femmes blanches et/ou bourgeoises sont divers. Néanmoins, on peut remarquer que dès les années 70, les idées féministes mises en avant par l’appareil médiatique, ne sont pas les plus révolutionnaires. Encore aujourd’hui, les voix médiatisées sont celles qui s’attachent à un angle spécifique (tel que le droit à l’IVG ou la prévention sexuelle) sans condamner frontalement la responsabilité des structures politiques. Ainsi, ce ne sont pas les idées révolutionnaires qui sont mises en lumière, mais celles qui demandent des aménagements, des lois et une reconnaissance de leurs spécificités à l’État ainsi qu'à ses institutions (police, justice…). De plus, sont davantage relayées les idées portées par des femmes jugées « respectables », c’est-à-dire, incarnées par des femmes blanches hétérosexuelles, issues de milieux bourgeois. C’est principalement cette catégorie de femmes -très minoritaires- qui ont théorisées et pensé l’objet politique “femme” comme une donnée universelle. Or, ces femmes ont été éduquées dans un contexte français n’ayant pas remis en cause l’hybris du point zéro. L’hybris du point zéro est une notion légitimée par Santiago Castro-Gomez, qui désigne le mythe de la neutralité eurocentrée se croyant apte à accéder à la vérité universelle sans prendre en compte ses propres biais. Ainsi, les théories sur le féminisme universel ont été bâties dans un contexte imprégné par une pensée euro-centrée mais aussi orientaliste. Ce savoir et cet imaginaire ont été institutionnalisés et construits pendant des siècles par l’Occident. Selon Edward Saïd, l’orientalisme a servi et sert aujourd’hui encore, le discours politique dominant. Les perceptions orientalistes imprègnent les écrits d’institutions (compagnies commerciales, gouvernement, sociétés géographiques, universités), science traditionnelle (bible, classiques, philologie) et des récits de voyages, d’exploration, de fiction (roman) et description exotiques. Cet ensemble de représentations de "l’Orient" faites par l’Occident va considérablement influencer les penseuses et penseurs occidentaux, les intellectuelles féministes blanches ne font pas exception. Depuis plusieurs décennies, certaines ont tentées de se comparer à d’autres personnes discriminées, afin de susciter l’émoi concernant leurs propres revendications. Ainsi, d’Olympe de Gouges jusqu’au chant du MLF, des femmes blanches féministes ce sont comparées aux peuples noirs et aux esclaves, se mettant ainsi dans la même position qu’eux, sans jamais reconnaître qu’elles ont elle-même bénéficié de l’impérialisme blanc et du colonialisme. Pour exemple, dans son texte paru en 1908, Hubertine Auclert « Les femmes sont les nègres » s’indignait de l’octroi du droit de vote aux hommes noirs sans le donner aux « blanches cultivées de la métropole ». Mais les références à l’esclavage pour aborder les droits des femmes ne datent pas d’une époque révolue. En 2016, Laurence Rossignol déclarait « Il y a des femmes qui choisissent, il y avait aussi des nègres afric… des nègres américains qui étaient pour l’esclavage. […] Je crois que ces femmes sont pour beaucoup d’entre elles des militantes de l’islam politique. Je les aborde comme des militantes, c’est-à-dire que je les affronte sur le plan des idées et je dénonce le projet de société qu’elles portent. Je crois qu’il peut y avoir des femmes qui portent un foulard par foi et qu’il y a des femmes qui veulent l’imposer à tout le monde parce qu’elles en font une règle publique. ». Après la polémique, celle-ci maintiendra ses propos au nom de son combat « universaliste ». Chez les féministes occidentales, ces positions remontent aux déclarations de certaines suffragettes au début du 20e siècle qui appelaient à « émanciper les femmes des colonies ». Pour les féministes françaises, elles se sont prolongées par les cérémonies de dévoilement durant la colonisation algérienne. Selon l’article Le dévoilement des femmes, une longue histoire française de Zhor Firar, en 1958 à Alger «Des groupes de femmes voilées marchaient jusqu'aux lieux traditionnellement dédiés aux cérémonies officielles (hôtel de ville, monument aux morts). À l'arrivée, une délégation de jeunes femmes, habillées à l’européenne ou portant le haïk (voile traditionnel algérien), partageaient l'estrade ou le balcon avec les généraux et les destinataires présents, bouquets à la main, et délivrait de longs discours en faveur de l'émancipation des femmes avant de lancer leur voile à la foule.» Ces faits, se déroulant neuf ans après la publication du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, écrivant à l’intérieur «La musulmane voilée et enfermée est encore aujourd’hui dans la plupart des couches de la société une sorte d’esclave». En 1960, l’armée française demande au photographe Marc Garanger de photographier les habitants de villages afin de procéder à leur enregistrement. Les femmes vont être amenées devant l’objectif puis dévoilées de force avant d’être photographiées : « Dans chaque village, Marc Garanger faisait asseoir les femmes sur un tabouret contre le mur blanc de leur maison. Pas de paroles. Pas de protestation. Saisies dans leur intimité, les femmes se plient aux ordres sans broncher. Au début, elles faisaient tomber sur leurs épaules le morceau de tulle qui voilait leur visage mais gardaient le cheich enroulé autour de la tête, puis elles ont été forcées à tout enlever. » Marc Garanger rapporte les propos du capitaine qui, en découvrant les photographies, a ameuté les officiers de l’état-major en poussant des cris : « Venez voir, venez voir comme elles sont laides ! Venez voir ces macaques, on dirait des singes ! » . En dévoilant les femmes algériennes, les colons d’hier pensaient anéantir l’identité algérienne, le contrôle des tenues des femmes algériennes a donc été utilisé comme cheval de Troie d'oppression colonial. Au regard de cette histoire algérienne, il n’y a rien de surprenant à constater que la cristallisation anti-islam chez les féministes françaises, s’est concentrée sur la question des tenues vestimentaires de femmes musulmanes, et principalement la question du foulard islamique. Pour la plupart des féministes "universalistes", le voile est par essence un symbole patriarcal, ainsi aider les femmes à s’en émanciper constitue une main tendue de solidarité entre femmes. Si je pense que leurs motivations étaient pour certaines sincères, l'écueil de ce féminisme est de nier les spécificités et les contextes géopolitiques en arguant que le chemin de l’émancipation des femmes doit-être le même pour toutes en étant similaire au leur. Une autre dynamique expliquant ce terrain favorable à un glissement d’un féminisme universaliste à un féminisme pouvant être récupéré par l’extrême droite s’exprime dans la vision européenne marquée par une philosophie tournant autour de la notion de dualité. En effet, la société occidentale construit ses valeurs sur une influence chrétienne, elle-même imaginée sur des pôles contraires (ex = le paradis/l’enfer, le bien/le mal, le noir/le blanc, l’homme/la femme…). Ainsi les féministes universalistes ont calqués leur représentations sur les femmes du « Sud global » en projetant sur elles une vision orientaliste, les décrivants comme lascives et soumises. Le tout couplé d’une dichotomie binaire dans laquelle l’homme étrangé est naturellement brutal et seul oppresseur de « LA femme » non blanche. Pourtant, comme le précise Rosi Braidotti cette dualité caricaturale devrait alerter les féministes car elle est aux antipodes des théories féministes. Pour Braidotti : “Les philosophies du féminisme ont toujours fait du refus du dualisme un point de départ indépassable. Je pense à Lloyd, Irigaray, Cixous. Depuis des années l’accent est mis sur la multiplicité et sur la nécessité de penser à la simultanéité d’effets de pouvoir qui peuvent paraître tout a fait contradictoires. Rendre compte du vécu des femmes et donc de leur diversité est au centre de ces pratiques.” Ainsi selon Françoise Vergès, se tournant « universaliste » a eu pour effet de moraliser les luttes féministes en les présentants comme « un combat universel du bien contre le mal », où le « bien » et le « mal » sont définis par des critères occidentaux. De fait, chez les féministes universalistes, le BIEN s'incarne par l’athéisme et le rejet strict des cultures religieuses, le MAL étant les religions et particulièrement l’islam. Ce postulat a pour conséquences de contraindre les femmes musulmanes en France à se conformer à cette vision du bien pour s’intégrer et ce, même si cela peut impliquer un éloignement de leurs structures familiales au profit d’une assimilation présentée comme une libération. Quant aux femmes « du Sud », il serait impensable pour les féministes civilisationnelles qu’elles aient leur propre opinion et mènent leurs propres combats féministes. Pourtant, comme le rappelle l’afro-féministe Axelle Jah Njike dans le journal Jeune Afrique en janvier 2022, le féminisme africain n’a pas attendu les consignes de l’Occident. Mais ces visions euro-centrées ne sont pas seulement théoriques, elles sont aussi aussi politiques puisqu’elles s’inscrivent dans un contexte postcolonial dans lesquel les Occidentaux se placent en « sauveurs » tout en omettant de mentionner les combats féministes des autres peuples. Dans son ouvrage Un féminisme décolonial, Françoise Vergès rappelle qu’au début des années 70, les pays du « tiers-monde » et l’Union soviétique proposaient déjà d’établir une décennie consacrée aux droits des femmes, dans l’indifférence totale des puissances mondiales. Il faudra attendre 1979 pour que le gouvernement états-unien annonce le statut de la condition des femmes comme objectif principal de la politique étrangère. Bref, lorsque la condition des femmes est portée par les grandes puissances mondiales, elle est entendue et légitimée, le cas contraire étant systématiquement invisibilisé et ignoré. Quels sont les courants au sein du féminisme civilisationnel et qui en sont les dominants ? Depuis le milieu des années 2000, les partis d’extrême-droite, mais aussi de droite néo-libérale on commencés à adopter, à une échelle inédite, le langage des droits des femmes et de l'égalité des genres dans leurs campagnes anti-immigration et anti-islam. Cherchant à normaliser leur image publique en tant que forces politiques modernisées et dignes de confiance, de nombreux partis de droite en Europe occidentale ont commencé à montrer de l'intérêt pour le statut des droits des femmes, tout particulièrement celles appartenant à des communautés migrantes non-occidental et musulmanes. En France le 3 octobre 1989, trois filles musulmanes sont expulsées de leur lycée à Creil après avoir refusé d'enlever leur foulard. Cet événement survenant l'année du bicentenaire de la révolution française la couverture médiatique fut énorme, afin de rappeler que "la laïcité" est un des piliers de la république. Suite à la polémique, le Nouvel Observateur, publiera la lettre de 5 philosophes, parmi lesquelLEs se trouvait la philosophe féministe Elizabeth Badinter. Le texte adressé à Lionel Jospin, ministre de l'éducation de l'époque, disait ceci : «Tolérer le foulard islamique, ce n’est pas accueillir un être libre (en l’occurrence une jeune fille), c’est ouvrir la porte à ceux qui ont décidé, une fois pour toutes et sans discussion, de lui faire plier l’échine. Au lieu d’offrir à cette jeune fille un espace de liberté, vous lui signifiez qu’il n’y a pas de différence entre l’école et la maison de son père. ». D’après Sara R.Farris, il faut attendre 2004 pour que le front féministe antivoile et anti-islam en France soit hautement médiatisés, notamment par des figures comme Elizabeth Badinter, Jeannette Bougrab, Caroline Fourest ou encore Fiammetta Venner. Une année auparavant, est créé le mouvement féministe français “Ni putes ni soumises” fondé par Fadela Amara qui lui aussi adopte une position anti-foulard. Pour la chercheuse Kaoutar Harchi : « L’association Ni Putes ni Soumises, par exemple, grandement centrée sur l’accompagnement de la population féminine « des quartiers », a incarné le combat contre la « barbarie » patriarcale supposée de la fraction masculine, musulmane et populaire de la société française. Un combat, mené par quelques actrices féminines racisées proches des structures du pouvoir, se voulant représentatives du pendant féminin de ladite fraction, et qui a symbolisé, à lui-seul, l’arrachement des femmes bonnes d’une religion et d’une culture mauvaises. Cela au point que la nécessité d’aider les jeunes filles en question à quitter leur « culture » en quittant leur famille, et plus encore à rompre tout lien avec elles, a progressivement été défendue par les membres de l’association et par nombre d’acteurs et d’actrices institutionnels prohibitionnistes.» Ces exemples, comme ceux précédés plus haut, démontrent que les populations racisées sont systématiquement ramené·es à des objets de discussions et non des sujets capables de parler en leur nom. Encore aujourd’hui, les débats sur le port du foulard, - des sphères féministes universalistes jusqu’aux plateaux de télévision - , s’effectuent sans les femmes musulmanes. Celles-ci sont au mieux considérées comme des victimes, au pire comme des complices perverses mettant leur corps, par le biais de leurs tenues, au service de l’avancée de l’Islam. Une nouvelle fois, bien que des féministes antiracistes telles que Chiara Bonfiglioli, Sonia Sabelli ou Anna Vanzan aient portées une autre voix, c’est les discours fémonationalistes qui sera le plus médiatisé et relayé dans l’opinion publique. On observe cependant un virage avec la création du collectif Nous Toutes, en 2018. En seulement deux ans, ce collectif devient l'un des plus importants en France et bien qu'il soit toujours dominé par des femmes blanches de classes moyennes et supérieures, il entend adopter la rhétorique du libre choix, y compris concernant le port du foulard. Par les réseaux sociaux, des associations féministes musulmanes comme Lallab (2016) émergent et visibilisent la parole des femmes concernées. Mais cela s’effectue en parallèle d’une politique menée par le gouvernement d’Emmanuel Macron, de plus en plus ouvertement fémonationaliste. En effet, à la vague de contestation #Metoo, le gouvernement Macron a délibérément opté pour une réponse sécuritaire. Au sein de l’ouvrage Moi aussi, Metoo au-delà du hashtag l’autrice Louz souligne que cette ligne politique a permis au gouvernement de justifier davantage de police, de prisons, et un durcissement des peines. Comme le souligne Louz les projets portés par Marlène Schiappa sont : « Une prolongation des délais de prescription, mise en place de bracelets d'éloignement, alourdissement de peines, possibilité de porter plainte à l'hôpital... davantage des effets d'annonce que des réalités concrètes.» Une politique permettant au gouvernement Macron de traverser un quinquennat entier sans donner un centime supplémentaire aux associations féministes.

De Marlène Schiappa au “Collectif Némésis” Marlène Schiappa, ancienne Secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes, est devenue ministre déléguée chargée de la citoyenneté le 6 juillet 2020. Dès lors, elle gouverne sous étroite collaboration avec Gérald Darmanin lui-même promu ministre de l’Intérieur, et ce, sans que sa mise en examen pour viol n’entrave sa nomination. À peine élue, Marlène Schiappa accorde, le samedi 11 juillet, un entretien au JDD, détaillant sa ligne politique, laquelle s’inscrit profondément dans l’axe fémonationaliste. Elle y traite côte à côte les questions de citoyenneté, de laïcité, de protection des femmes, d’Islam radical, de politique migratoire et envisage déjà d’émettre un « plan de lutte contre le communautarisme et les séparatismes ». La ministre déléguée axe principalement son mandat sur la défense de la laïcité. Lorsqu’elle est interrogée sur cette question au JDD, elle évoque directement les parcours de naturalisation, introduisant ainsi l’idée que les étrangers sont la menace principale contre la laïcité française. Comme le souligne la tribune Le discours fémonationaliste indigne de Marlène Schiappa, publiée dans Le journal du dimanche en juillet 2020, lorsque Mme Schiappa est questionnée sur la laïcité elle répond aussitôt en évoquant les parcours de naturalisation, comme si les étrangers constituaient la plus grande menace contre la laïcité en France. Pourtant ceux s’organisent aujourd’hui contre le droit à l’avortement, s'opposent aux programmes antisexistes à l’école et militent aux côtés de La manif pour tous (comptant Darmanin dans ses rangs) sont des individus aux “racines bien chrétiennes”. Toujours à la même période, Marlène Schiappa déclare dans le cadre d’« opérations de reconquête républicaine », : « Si la maison de votre voisin s’effondre, vous l’accueillez. Mais s’il se met à tabasser votre soeur, vous le virez ! ». Ce n'est pas tout, le 23 juillet 2020, dans le cadre de la défense de la mise en place de mesures de lutte contre « le séparatisme » Schiappa énonce sur Les Grandes Gueules, RMC : « Lorsqu’un étranger commet des violences sexistes ou sexuelles, il doit cesser d’être accueilli en France ». En avril 2021, elle annonce également renforcer la présence policière dans les quartiers populaires au nom d’une lutte supposée du harcèlement de rue, sous-entendant que les jeunes hommes de banlieue en sont les principaux acteurs. Accusée par nombre de féministes de promouvoir le fémonationalisme, et de légitimer un deux poids de mesures entre les hommes français et étrangers, la porte-voix du gouvernement Macron s’est défendue de n’avoir « aucune leçon de féminisme à recevoir de qui que ce soit ». Plus récemment, le 11 février 2021, Marlène Schiappa et Jean-Michel Blanquer ont déclaré lancer une enquête relative à la délivrance de certificats de dispense de natation à l’école pour les motifs « d’allergie au chlore ». Pour les deux ministres, il y aurait des délivrances abusives et des médecins seraient complices d’un islam radical et de « séparatisme religieux ». Selon le sociologue Eric Fassin, il s’agit encore une fois de « mater les adolescentes » sous couvert de laïcité et de féminisme. Dans un contexte où Gérald Darmanin est sous le feu des colères féministes du fait d'avoir été promu ministre de l’Intérieur malgré une mise en examen pour viol, ces mises en scènes visent à survisibiliser les violences sexistes des hommes musulmans (ou perçus comme tels) pour mieux invisibiliser la responsabilité des autres hommes blancs. Comme le rappel la sociologue Kaoutar Harchi : « L’alliance, hier comme aujourd’hui, d’un déploiement de dispositifs sécuritaires visant au contrôle des conduites masculines, d’une part, et d’une rhétorique de la protection des femmes contre les violences sexistes et sexuelles, d’autre part, est loin d’être une disposition circonstancielle. Elle peut même relever d’un projet féministe de type carcéro-punitif : déployé au coeur de l’État, il en a pris le pli au point de confier aux institutions de la force — policière et pénitentiaire — le monopole de la gestion protectrice des femmes. ». Dans ce cas de figure, c’est donc l’action directe politique par les membres du gouvernement, qui permet de faire progresser le fémonationalisme. Par sa position, Marlène Schiappa permet de légitimer ces discours dans l’opinion publique pour étendre ce champ des possibles au sein de la rhétorique législative et faire avancer les lois xénophobes et répressives sous couvert de maintien de la laïcité. Les dominantes du champ fémonationaliste au sein du féminisme sont donc des féministes ayant eu accès à des fonctions de pouvoir comme Laurence Rossignol ou Marlène Schiappa, ou des figures très médiatiques comme Caroline Fourest et Elizabeth Badinter. Largement relayées elles ont le pouvoir d'influencer le débat public. Ce sont des féministes plutôt pro système, qui s’opposent aux féminismes révolutionnaires, anti-capitalistes, queers ainsi qu’aux mouvements décoloniaux. Leur objectif est de s’intégrer au système néo-libéral pour accéder aux fonctions de cadres et aux postes à hautes responsabilités. C’est le cas notamment de Marlène Schiappa, qui s’est fait connaître par son blog « Maman travaille », délivrant de multiples astuces pour conjuguer vie pro et vie de famille. Or, selon certaines féministes comme Françoise Vergès, ce féminisme contribue à renforcer les inégalités entre les femmes, puisque le néo-libéralisme s’appuie sur l’exploitation et le travail invisible des femmes précaires, le plus souvent immigrées. En cela, il ne peut remplir la promesse féministe d’améliorer la vie de toutes les femmes. Concernant le "Collectif Némésis", il est fondé en octobre 2019. Le groupuscule est constitué dans un contexte ou l’électorat d’extrême droite est davantage masculin. A l'approche des présidentielles françaises, Némésis constitue l'une des nouvelles stratégies mise en place pour féminiser les idées identitaires. C’est donc l’objectif principal de Némésis qui soutient la candidature d’Eric Zemmour, tout en se revendiquant « apolitique ». Les personnes qui en sont à l’origine étaient déjà des militantes de la Cocarde Etudiante ou de Génération Identitaire et ont été formées politiquement par “L’académiachristiana”. La plupart sont des jeunes femmes issues de la petite et grande bourgeoisie et proviennent de familles traditionnelles de confession catholique. Concernant leurs discours idéologiques, les deux enjeux principaux de Némésis sont la lutte contre l’immigration et dénoncer le féminisme jugé « mainstream » situé à gauche. Pour les militantes de Némésis, les hommes blancs sont avant tout des alliés des femmes dont le rôle est de les défendre face à barbarie supposée des étrangers. Sur leur site internet, dans leurs déclarations aux médias, au travers de leurs slogans, émane l’idée selon laquelle l’homme étranger — surtout s’il est de confession musulmane —, serait l’ennemi principal. Selon ces militantes identitaires, lui seul grand responsable du harcèlement dans la rue, mais plus globalement de l’ensemble des violences sexuelles et sexistes en France métropolitaine. Par ailleurs, elles prennent position contre les droits des personnes trans et ne souhaitent pas se prononcer sur la question de l’avortement. Leurs discours ouvertement revendiqués comme identitaires s'appuient sur la théorie du grand remplacement. Chaque dénonciation appelle à condamner plus sévèrement les violences sexistes les plus visibles afin de lutter contre « l’ensauvagement de la société ». Elles reçoivent l’enthousiasme et le soutien de différents militants et médias d’extrême droite, tels que des membres du Rassemblement National, de Génération identitaire et apparaissent dans Valeurs actuelles ou encore Causeur. Leur collectif basé sur des sections par ville (en France et en Suisse) est théoriquement en non-mixité mais en réalité, elles sont souvent escortées en manifestation par des militants de la Cocarde étudiante. Elles promeuvent par ailleurs la glorification d'une féminité traditionnelle, se moquant par exemple « des féministes mainstreams » jugées laides et hystériques au sein de courtes vidéos postées sur leur réseaux sociaux. Lors de manifestations identitaires, elles apparaissent habillées de longues robes fleuries et brandissent à l'occasion des roses. Leurs actions digitales s’axent en deux points, un site internet relayant leurs idées, mais surtout une communication continue sur les réseaux sociaux comme Instagram et Twitter. Sont aussi partagés des extraits vidéo comme des débats entre Lejeune, directeur de valeurs actuelles et Alice Coffin, élue écologiste au conseil de Paris. Quelques hommes blancs sont ponctuellement dénoncés afin de feindre l’objectivité. Selon elles, les violences commises par les hommes blancs, ne seraient pas le résultat d’une éducation machiste (comme c’est le cas pour les étrangers) mais de simples cas isolés. Dans la rue leurs actions sont principalement des collages de nuit de leurs affiches et stickers ou des happenings, comme en février 2021 où elles apparaissent le jour du World Hijab Day en niqab (voile intégral) au Trocadéro, munis d'une grande banderole « Les Françaises dans 50 ans ? ». Enfin elles réalisent des apparitions en manifestation féministe, comme lors de la manifestation du 8 mars 2019 mais également à chaque marche organisée par Nous Toutes. En 2021 par exemple, elles dissimulent des pancartes avec leurs slogans habituels derrière des fausses pancartes afin d’infiltrer la marche sans se faire remarquer. Vers la fin de la manifestation elles feront tomber leurs pancartes pour dévoiler leurs slogans sous des fumigènes. Quelques instants plus tard, suite aux sifflements de la foule elles jetterons leur pancartes par terre avant de partir en courant. Les militants venus les escorter étaient principalement des activistes du groupuscule « La cocarde étudiante ». Samedi dernier, les jeunes femmes ont une nouvelle fois quitté le 8ème et le 16ème arrondissement pour vivre un court moment de frisson. Elles se sont rendues à la marche Nous Toutes déguisées en femmes musulmanes et sont apparues le temps de faire des photos et une vidéo de 20 secondes avec des pancartes “féminisme islamiste” et “ma burqa mon choix”, dans l’objectif de “troller” la marche... Si contrairement à Marlène Schiappa le collectif Némésis ne lutte pas au nom du maintien de la république et de la laïcité, mais pour des motifs purement identitaires, nous pouvons voir des parallèles évidents entre ces deux discours.

Quel est la réception de ces discours ? Selon un sondage Statista, entre mai et octobre 2020, la popularité de la ministre Marlène Schiappa a doublé, passant de 3% d'excellente opinion à 6%. Les personnes ayant une mauvaise ou très mauvaise opinion d'elles n'ont pas changé sur cette période. Nous pouvons en déduire que l'accélération de ces positions fémonationalistes n’ont pas affecté sa popularité auprès du grand public, bien au contraire. Ainsi sa posture d’autorité et sa forte médiatisation participent à banaliser ses rhétoriques et à crédibiliser les discours d'extrême-droite. Au sein du mouvement féministe, nombre d’activistes condamnent ces propos et la faiblesse de ses propositions politiques. Seules certaines féministes accusées de positions transphobes comme Marguerite Stern, Dora Moutot (créatrice de Tasjoui) ont récemment apporté leur soutien à Marlène Schiappa. Par ailleurs, début décembre 2021, Marlène Schiappa recevait Dora Moutot à son cabinet, afin d’écouter ses propositions, cette dernière essayant alors de faire barrage à la loi interdisant les thérapies de conversion sur les personnes transgenres. Concernant le collectif Némésis, plusieurs groupes identitaire se revendiquant d’un militantisme féministe comme Antigones, Porteuses ou NAVNAL (Ni à vendre, ni à louer), Caryatides, Marianne pour tous, ont été créés depuis 2013 en France mais aucun n’a jusqu’à-lors eu l’écho et la visibilité de Némésis. En très peu de temps, elles ont réussi à obtenir une forte médiation de Quotidien à BFMTV et cumulent aujourd’hui plusieurs passages sur “Touche pas à mon poste !”. Peu de personnes semblent réellement dupes concernant la position politique du groupuscule. En revanche, leurs propos viennent ouvrir la fenêtre d'Overton de l'extrême-droite et renforcer un discours déjà bien présent. Si Némésis s’est vu supprimer plusieurs fois ses plateformes sur les réseaux sociaux, les militantes continuent à banaliser leurs discours, notamment en organisant des débats avec des figures féministes et en cherchant à obtenir leur soutien -du moins leur attention. Elles ont déjà obtenu celui de Dora Moutot ainsi qu'un débat avec la comédienne Noémie de Lattre cumulant déjà plus de 200 000 vues sur Youtube. En conséquence, ces discours et politiques parfois appuyés par certaines féministes, contribuent à légitimer l’avancée de politiques sécuritaires, xénophobes et racistes.

Conclusion : Les discours fémonationalistes permettent la sauvegarde et l’avancée du néo-libéralisme, du racisme et du sexisme en survisibilisant l’oppression des femmes racisé·es par les hommes racisés pour mieux déresponsabiliser les autres. Cela permet de désigner la France en nation sauveuse, laquelle encourage la migration de ces femmes pour combler les besoins du travail du soin et domestique sur le marché du travail, en échange d'une promesse d’émancipation. Ces discours servent également des intérêts masculinistes et virilistes à plusieurs niveaux : premièrement ils empêchent et verrouillent davantage la parole des femmes issus de l'immigration, car celles-ci sont prises entre la dénonciation des violences sexistes qu'elles subissent et la peur de renforcer le stigmates des figures masculines de leur communauté. Deuxièmement cela renforce et légitime les discours masculinistes. Pour rappel ces discours prétendent que les hommes blancs ne devraient pas remettre en question leur virilisme afin de "protéger les femmes occidentales de la menace extérieure" incarné ici par l'homme étranger. Face à ces offensives anti-féministes et racistes, des penseuses comme bell hooks ont invoquées l'importance de penser un féminisme partant des individus aux marges pour aller vers le centre. Ainsi, l'impératif de porter des projets féministes pensés par et pour toustes, avec une perspective anti-racistes et anti-sécuritaire semble plus que jamais être une nécessité.

Sources :

Articles

Livres

  • Louz, Metoo, Au-delà du hashtag; Le fémonationalisme à l'ère de #Metoo, JC Lattès, 2022

  • Mara Viveros Vigoya, Les Couleurs de la masculinité, La Découverte, 2018

  • Magali Della Sudda, Les nouvelles femmes de droite, Hors d’atteinte, 2022

  • Sara R. Farris et July Robert, Au nom des femmes. « Fémonationalisme », les instruments racistes du féminisme, Syllepse, 2021

  • Françoise Verges, Un féminisme décolonial, La Fabrique Edition, 2019




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