Léane Delanchy
Noël : faut-il que les femmes fassent grève ?
Le 21 décembre 2020, la chanteuse et psychologue Louisadonna publie sur son compte Instagram une story expliquant que, pour elle, Noël est avant tout la fête des hommes. En effet, dans la mesure où ce sont majoritairement les filles qui cherchent et préparent les cadeaux, le repas, font les courses, la décoration et débarrassent, la magie de Noël repose indiscutablement sur leur travail gratuit. Mais c’est encore plus profond que ça, car cette fête se base sur la glorification de la figure du patriarche, dépeint par le Père Noël. Il incarne le pouvoir masculin, mais aussi l’autorité, c’est le seul habilité à juger et récompenser les enfants sages qui obéissent aux règles. Le Père Noël représente dès lors la magnification du pater familias, capable de sévérité et d'actes de bonté.
C’est lui qui répand le bonheur, les cadeaux, et ainsi, le sourire sur le visage des petits. Dans combien de foyers un homme de la famille se déguise en Père Noël pour faire la distribution ? Hélas, trop souvent, la participation des garçons à l’organisation des tâches s’arrête là et invisibilise un travail majoritairement féminin. C’est du moins les résultats de l’enquête que j’ai mené auprès de ma communauté sur Instagram.* Sur 6000 personnes interrogées, 79 % répondent que les hommes sont en vacances durant les festivités, et les femmes surmenées.
Pour près de 60 % des témoignant·es, les pères découvraient les cadeaux choisis en même temps que les enfants, et 69 % soutiennent que ce sont surtout les femmes qui se lèvent pour débarrasser la table. Enfin, 56 % affirment que les hommes gâchent régulièrement la fête, raillant les femmes durant le repas, ou ne sachant plus se tenir à cause de l’excès d’alcool.
Deux années de suite, le constat est le même : innombrables sont les femmes et les personnes LGBT+ pour qui la bûche de Noël laisse un goût amer dans la bouche. À l’image de Kate McCallister, cette mère constamment au bord de la crise de nerfs dans le film « Maman j’ai raté l’avion », je ne dénombre plus les témoignages de femmes exténuées. Pour beaucoup, le réveillon représente plusieurs dizaines d’heures de travail non rémunéré. Mais les angoisses ne s’arrêtent pas à la seule gestion des préparatifs, nombreuses sont celles qui attendent les fêtes la boule au ventre. Certaines le sont à l’idée que l'on critique devant tout l’entourage la cuisson de leur dinde, d'autres craignent des railleries sur leur poids. C’est sans compter les diverses personnes LGBT+ qui s’isolent des fêtes, soit à cause du rejet brutal de leur identité par leur famille, soit parce qu’iels ne supportent plus d’être l’objet de moqueries récurrentes.
Cette ambiance, loin de l’image de la magie de Noël, aurait des effets directs sur la santé des femmes. C’est ce que m’a confiée une ostéopathe suite à la parution du sondage : « Chaque année je demande à mes patient·es s’iels sont prêt·es en termes d’organisation des célébrations. Les hommes, en grande majorité, n’ont pas la moindre idée de ce qui est prévu, et vont au dernier moment acheter une babiole à leur femme en profitant de leurs congés. Les femmes ont déjà tout programmé depuis des semaines et sont si stressées que je les retrouve avec des crises d’angoisse au cabinet. Je ne compte plus les torticolis, les lumbagos, etc. Et chez les plus jeunes filles comme les garçons, iels arrivent avec des maux de ventre atroces parce qu’iels ont peur que leur oncle, père ou cousin les harcèlent à table. Le tout, sans pouvoir répondre sous peine de “plomber les festivités”. »
À ces critiques s’ajoute une autre contestation qui pourrait être perçue comme un caprice, mais qui n’en est rien : les femmes veulent que ces messieurs prennent le temps de choisir de meilleurs cadeaux. Ce n’est pas ici le budget alloué qui fait l’objet d’une certaine colère, mais plutôt le défaut d’attention et d’intérêt à autrui que les hommes témoignent à travers leurs présents. Sur les 6000 personnes interrogées, 71 % affirment que leur père demande aux femmes de sélectionner les cadeaux dont ils sont en charge. Dans les 29 % restants, beaucoup se plaignent du manque d’investissement observable par le choix des cadeaux — quand il y en a. C’est le cas de Justine**, dont le père, pourtant prospère, chef d’entreprise, refuse toute attention à ses filles, sous prétexte qu’il paie déjà une pension alimentaire à leur mère. Il y a également Alice, qui se rappelle que son papa lui a offert un legging en cuir à 11 ans et une voiture Barbie quand elle en avait 18. J’ai aussi été marquée par le récit de Cindy : après la séparation de ses parents, elle a surpris sa mère qui continuait à acheter des cadeaux de la part de son paternel pour lui faire croire que celui-ci la connaissait. À ce florilège s’ajoutent les multiples témoignages de femmes ayant reçu des packs de préservatifs, brosses à dents, et même godes moulés à partir du sexe de leur partenaire… Sans aller jusqu’à ces derniers cas de figure, nombreuses sont celles qui déplorent un manque de réel investissement des hommes lorsqu’il s’agit de réfléchir à faire plaisir à l’autre. Les cadeaux incarnent ainsi l’addition de la charge mentale et de la charge émotionnelle, le plus souvent portées par les femmes.
Bien heureusement, j’ai également reçu des témoignages de pères, oncles et cousins particulièrement attentifs et investis. Néanmoins, l’ensemble du tableau reste peu glorieux. Au regard de la situation, certaines ont décidé de contre-attaquer. C’est le cas de Malia qui, excédée, a choisi de faire grève. Cette année, elle ne se souciera de rien, ni des cadeaux de l’entourage, ni des préparatifs. Et pourtant, elle me confie ses préoccupations : « Je suis stressée, car je sais qu’il va y avoir des loupés… la vraie question : Vais-je tenir jusqu’au bout ? ». Même son de cloche pour Joséphine : « C’est mon copain qui s’occupe des cadeaux pour sa famille cette année, nous sommes le 15 décembre et il n’y en a aucun pour l’instant. »
Camille a de son côté pris la peine de mettre en place un tirage au sort, chaque membre présent·e au réveillon pioche une partie du repas : entrée ou plat de résistance. La personne est responsable de trouver l’idée du mets, faire les courses, cuisiner et réaliser le service.
D’autres choisissent l’option festivités en non-mixité, sans hommes cis à leur côté. Il en sera ainsi pour Sarah : « Cette année je vais boire l’apéritif et leur laisser les cadeaux de Noël, mais avec ma copine on a décidé de fêter ça avec notre foyer de cœur. Nous serons entre femmes, ça me fait plaisir de célébrer Noël pour la première fois depuis des années. » Lasse d’endurer les remarques lesbophobes de son grand-père et les conduites salaces et agressives des hommes alcoolisés dans sa famille, elle a annoncé à ses parents que ce Noël serait sans elle. Le tout, devant un regard entendu de sa mère. Chez Chloé, la révolution s’est organisée avec sa sœur. Ne supportant plus l’attitude machiste de leurs deux cousins et de leur oncle à chaque réveillon, elles ont posé un ultimatum à leur mère : s’ils viennent aux festivités, ça sera sans elles. « On se lève et on se casse », me souffle Chloé, rieuse et fière.
Je regrette que des fêtes censées nous réunir dans la joie soient gâchées par des normes patriarcales. Pour certain·es, exposer ces faits fera d’elleux des rabat-joie. Cependant, nous sommes de plus en plus nombreux·ses à constater que les casseurs d’ambiance en soirée sont ceux aux comportements sexistes et lgbtophobes. Faut-il dès lors boycotter Noël, de la même manière que de nombreuses femmes m’ont signalé le faire ? Qu'on réveillonne sans hommes cis, comme Chloé et Sarah, ou qu'on opte pour une grève des préparatifs ?
Je n’ai pas la réponse. Mais j'attends vos idées en commentaires pour des célébrations véritablement joyeuses pour toustes. Et très bonne fin d’année à vous !
*Les chiffres cités comportent des biais : les personnes interrogées sont en majorité des femmes citadines, de classes moyenne et supérieure et qui s’intéressent aux enjeux d’égalité. Les conclusions sont donc probablement en-dessous de la réalité.
**Les prénoms des témoignantes ont été modifiés pour assurer leur anonymat