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  • Photo du rédacteurLéane Delanchy

Pas tous les hommes (Et autres cries d'orfraie sur la généralisation)

Dernière mise à jour : 21 mars 2022


Pour combien accepteriez-vous de jouer à la roulette russe ? Et accepteriez-vous de le faire gratuitement, avec la promesse d’accéder au bonheur ?

Imaginez que je vous offre un sachet de M&M’s®, et qu’à l’intérieur, 90 % des bonbons soient excellents et 10 % empoisonnés. Les 10 % empoisonnés vont vous coûter la vie, ou provoquer plusieurs années de détresse, mais il est impossible de savoir desquels il s’agit. Plongeriez-vous la main dans le sachet pour en manger ?

Pour ma part, sur le papier, je décline : je n’ai pas envie de jouer avec ma vie, ni avec mon bien-être. Et pourtant, je prends des risques. Aujourd'hui, je continue de relationner (au moins en partie) avec des hommes, et j’en fréquente tous les jours dans l’espace public, au travail et dans mon cercle amical. Être en contact avec eux est statistiquement une prise de risques. Durant le premier confinement selon la dernière enquête de l’IFOP, près d’une femme sur 10 a été victime de violences conjugales. Un pistolet chargé pour une roulette russe comporte une balle réelle pour neuf balles blanches…

J'ai grandi dans un monde où les personnes comme moi – qui sont perçues comme femmes – ont une chance sur sept d’être violées au cours de leur vie. Dans 98 % des cas, leur agresseur sera un homme.

Je ne sais pas vous, mais moi, je suis terrifiée à l'idée d'avoir un jour un cancer. C'est pourquoi j’ai totalement arrêté de fumer, j’ai une pratique sportive régulière et fais attention à mon alimentation : je tente par ces précautions de diminuer ce risque. Pourtant, seules 1,4 % des femmes avant 85 ans auront un cancer, quand 12 % d’entre elles subiront au moins un viol.1 Durant ma jeunesse, j’ai donc pratiquement 10 fois plus de risque de subir un viol que de développer un cancer. Quelles sont alors les dispositions que je puisse mettre en place afin de diminuer ce danger, sachant que dans 80 % des cas l’agresseur connaît sa victime et qu’une fois sur deux le crime est perpétré par son conjoint ?

En tant que personne socialisée comme femme, on m'a appris depuis ma plus tendre enfance que les hommes étaient un danger. On m'a dit : « Fais attention à comment tu t'habilles, tu pourrais éveiller chez eux des idées malsaines. », mais également : « Ne monte jamais dans la voiture d'un homme que tu ne connais pas, et si tu vas en soirée, reste cramponnée à ton verre et fais attention à ce qu'un homme ne s'en approche pas. ». On m'a présenté les hommes comme des prédateurs face auxquels je devais toujours rester sur mes gardes, car, comme face à une bête sauvage, on ne pouvait rien faire pour les contrôler. Comme la maladie, le risque de tomber sur un homme qui me fasse du mal m’a été présenté tel un danger contre lequel je ne pouvais rien faire, c’était donc à moi de tenter de me protéger. « Dans la légion, les hommes sont des hommes. Les chèvres en savent quelque chose. » disait Régis Hauser.

Mais moi, je n'ai pas peur, je n'ai jamais eu peur des hommes. Peut-être aurais-je dû d'ailleurs… Un été, alors que je remontais du Sud pour récupérer les clefs d’un appartement à Paris, je me suis rendu compte une fois sur place que l’endroit était insalubre et ai décidé de ne pas le prendre. Le problème ? Mon train n’était que le lendemain, et je n'avais nulle part où passer la nuit – étant étudiante, mon budget était trop limité pour payer une nuit d’hôtel. Alors, l'homme qui s’était chargé de faire l'état des lieux m’a proposé de m'héberger pour la nuit.

Il était rassurant, sympathique, et je me sentais à l’aise avec lui, j’ai donc accepté. Pour moi, un homme n'est pas forcément une menace, n'est-ce pas ? « Pas tous les hommes », pas vrai ? Par précaution, j’ai prévenu ma famille, leur ai donné l'adresse de l’endroit où je dormais et leur ai expliqué la situation.

J’ai alors reçu plusieurs coups de fil désemparés de mon entourage : « Léane, comment peux-tu croire qu'un homme t'héberge sans envies malsaines ? », « C’est étrange qu’un homme rende un service comme ça, gratuitement… », « Fais attention à toi, tu nous fais peur ! ». J'ai eu beau les rassurer et leur dire que tous les hommes ne sont pas comme ça, mes proches n’ont pas été convaincu·es et m'ont ordonné de verrouiller la porte pendant la nuit et de la bloquer avec ma valise. Un homme rendant service à une femme de manière désintéressée, c’était forcément louche… Et pourtant, ce sont ces mêmes personnes qui me diront plus tard : « NOT ALL MEN ! » lorsque l’on abordera les sinistres statistiques des violences faites aux femmes et aux minorités de genre…

Il y a peu, j'ai raconté cette anecdote en story sur mon compte Instagram, et j'ai demandé aux personnes perçues comme femmes si elles auraient accepté de dormir chez cet homme pour ne pas s’endetter. Plus de 85 % d'entre elles ont répondu que non, car leur sécurité passait avant. Aux yeux du monde, les hommes sont des prédateurs pour les femmes. Cette nuit-là, il ne m'est rien arrivé, cet homme a été correct avec moi du début à la fin. Mais s'il avait été autrement, s’il avait décidé de profiter de la vulnérabilité d'une étudiante sans argent pour se payer une nuit d'hôtel, la société entière m'aurait rétorqué : « Mais à quoi t’attendais-tu ? Ne sais-tu donc pas qu'on ne peut pas leur faire confiance ? Ne t’a-t-on pas appris à être prudente car les hommes ne savent pas retenir leurs pulsions ? ». Pensez-vous alors que l’argument « Pas tous les hommes voyons ! » aurait eu le moindre impact ?

Non, car même si tous les hommes ne sont pas des agresseurs, le risque est élevé et réel. Ne pas le considérer ferait de moi une femme naïve, et le dénoncer, une « hystérique mal baisée ». Pourtant, le temps que ce risque existera, je ferai mon possible pour œuvrer à le faire diminuer.

Je suis donc toujours surprise de constater que les seules fois où l’on entend les cris d’orfraie du « Not all men ! », c’est lorsqu’une féministe prend la parole. Je n'ai jamais entendu cette répartie à l’occasion d’une conversation où l’on dirait : « les garçons sont comme ça, ils ne pensent qu’au cul, tu t’attendais à quoi ? ». Ce ne sont donc pas des féministes qui me disent « Yes all men » depuis que je suis enfant, mais bien l'ensemble de la société. On entend donc « Not all men » lorsque c’est le rapport de prédation du groupe social des hommes qui est dénoncé, lorsqu’il fait l’objet d’une analyse politique et questionne la domination masculine.

Pourtant, celles et ceux qui œuvrent pour l’égalité, contrairement aux personnes sexistes, croient que les hommes sont bons par nature, et que c'est le statut de dominant qui leur est donné par la société qui fait d’eux des prédateurs. Les féministes ne sont pas fatalistes, elles pensent que les hommes peuvent changer grâce à de fortes mobilisations sociales. Mais, pour cela, il faut pouvoir décrire les problèmes, les pointer, trouver des solutions et aller de l’avant, ce qui implique de pouvoir évoquer le groupe social « les hommes » ainsi que leur statut dans l’organisation de la société. Pourquoi ? Car notre cerveau fonctionne par catégorisation de l’information. Ainsi, pour comprendre et enregistrer, on généralise. Attention, on ne parle pas nécessairement de généralisation autour de jugements de valeur, mais simplement de la mise en place d’outils de description qui vont nous permettre d’identifier rapidement une information juste. Concernant les violences sexuelles, il est important de dire « les hommes », car ils en sont dans 98 % des cas les auteurs. Il ne s’agit donc pas de stéréotypes biaisés qu’il faut déconstruire, mais bien d’une description rationnelle. Mais alors, pourquoi dire « les » hommes et pas « des » hommes ? Comme le souligne @preparez_vous_pour_la_bagarre, tou·tes les conducteur·rices ne prennent pas le volant en état d’ébriété, mais les campagnes de prévention contre les conduites à risque s’adressent à tout le monde, car il s’agit d’un enjeu social de santé publique auxquels nous devons tou·tes être sensibilisé·es. Ainsi, si tous les hommes ne sont pas des violeurs, ils doivent pour autant tous être sensibilisés à la notion de consentement pour ne jamais le devenir ! On devrait être en capacité de se demander quelles actions politiques mettre en place pour que les violences de genre cessent mais, à l’heure actuelle, on ne peut pas poser cette question sans être censuré·e par les réseaux sociaux…

Les violences et inégalités que subissent les femmes et les minorités viennent de la socialisation des hommes, de l'apprentissage de la virilité, des stéréotypes sexistes et de l’intériorisation de ces règles patriarcales. Les féministes dénoncent ces mécanismes afin de les détruire. Lorsque l'on dit « not all men », non seulement nous sommes hypocrites, mais nous perdons également un temps précieux. Si quelqu’un·e affirme que les Français·es aiment le fromage, passons-nous 20 minutes à préciser qu’il y a des Français·es véganes, d’autres allergiques, ou qui n'aiment pas ce produit, et qu’il faut donc faire attention à ne pas mettre tou·tes les Français·es dans le même sac ? Non, car cela n’est pas pertinent. Nous devons être en mesure de décrire une tendance sociale afin de la décrypter et la questionner.

Si une partie des personnes qui arguent « not all men » à chaque conversation le font par manque de politisation ou d’intérêt pour ce sujet, d’autres ne veulent quant à elles pas que les choses changent et œuvrent activement à maintenir le statu quo. Ces mêmes personnes diront « not all men », puis ajouteront que les hommes sont davantage susceptibles d'être violents à cause de la testostérone (ce qui est faux, Cf. premier épisode du podcast). Penser cela revient à considérer les hommes comme des êtres nuisibles et dangereux par essence, pourtant, j'entends si peu de levées de boucliers « not all men » face à ces discours…

Pour finir, je vous le dis : j’aimerais pouvoir dire plus souvent « not all men », malheureusement les hommes que je connais autour de moi qui ne sont pas activement sexistes se comptent sur les doigts d’une main. Ce n'est pas très surprenant dans la mesure où nous avons grandi dans une société sexiste et, par conséquent, toutes et tous intégré des schémas qui le sont. Comme le souligne Nina Bartoldi : « Parce que les not all men, ils ont beau nous expliquer que, eux, ils n’ont pas fait ça, en sont-ils si sûrs ? Ont-ils toujours respecté le consentement de leur compagne ? N’ont-ils jamais mis de femmes mal à l’aise par leurs propos ou comportements ? Mais surtout, ont-ils éduqué leur pote lourd ? Ont-ils dit à leur pote Marc Peloteur qu’un corps de femme ne se touche pas sans autorisation, même si c’est juste pour saisir un bras ? Ont-ils dit à Louis Dragueur compulsif d’arrêter de parler fort d’une femme proche pour lui faire comprendre qu’il la trouvait fort à son goût ? A-t-il ouvert sa gueule quand un manager a dépassé les limites avec une collaboratrice ou baissé les yeux et fait mine de ne pas entendre ? ».

Hier, dans la section commentaire d’un article sur les agressions sexuelles commises par Pierre Ménès, l’utilisateur Jean De Saint Pierre a commenté : « Que celui qui n’a jamais rien fait lève la main ». Thierry a répondu : « moi, je commence à fatiguer du bras » et Jean De Saint Pierre lui a répondu à son tour : « ah bon, vous n’avez jamais rien fait ou dit de sexiste ? ». Pas de "not all man" à l'horizon.

Mais alors, pourquoi cela nous fait tant peur d'entendre « les hommes » ? Premièrement, parce que l’humain craint par définition les changements sociaux, et possède un biais cognitif très important : celui du « monde juste ». Nous sommes amené·es à croire que l'on obtient ce qu'on mérite, ou que l'on mérite ce que l'on obtient, ce qui, dans le cadre des violences sexuelles ou du sexisme, a tendance à entretenir le statut quo et la culture du viol. Par ailleurs, la plupart d'entre nous aimons profondément des individus hommes, il est donc rassurant d'oublier qu'une proportion d'entre eux est une menace pour nous ou nos proches et de se dire que cette menace est extérieure et non dans nos propres cercles. Il est douloureux d’admettre que ce n’est pas le cas, on parlera alors de déni social. Malheureusement, il faut en sortir pour avancer et créer une société plus juste et égalitaire.

Alors, arrêtons de déresponsabiliser les hommes, de nous complaire dans un fatalisme et un déni profond. Travaillons sur nos biais sexistes et entamons une grande discussion collective : Comment faire pour que les hommes arrêtent de violer ?


1-Sur l’ensemble de la vie d’une femme le risque est de 1/4. Avec un âge médian au moment du diagnostic de 67 ans. Source : Institut National du Cancer. Les cancers en France en 2015. L’essentiel des faits et chiffres.





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